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Cours 4 - 22/10/07

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Cours 4 - 22/10/07 Empty Cours 4 - 22/10/07

Message  Caroline R. Ven 2 Nov - 0:58

Comme c'était moi qui faisait mon exposé à ce cours-ci, je vous donne directement mes notes ! J'avais étoffé/improvisé à partir d'elles à l'oral, mais elles forment quand même le fil conducteur.

Ce serait bien que, pour la suite, les "exposants" mettent également leurs notes, qui sont fatalement plus complètes que celles que nous pouvons prendre nous, pauvres auditeurs que nous sommes.

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Ecrits sur la traduction à l’âge classique


Introduction


• Age classique : période des « belles infidèles » (mot de Ménard). Mais si cette pratique est majoritaire, la théorie est plus divisée.
"Lorsque la version du Lucien de M. d’Ablancourt parut, bien des gens se plaignirent de ce qu’elle n’étoit pas fidèle. Pour moi je l’appelai la belle infidelle, qui étoit le nom que j’avois donné étant jeune à une de mes maîtresses. »
Ménard, 1740

• Dans De Cicéron à Benjamin, M. Ballard intitule le chapitre consacré à l’âge classique : Les « belles infidèles » et la naissance de la traductologie  c’est effectivement à cette période que commence une réflexion sérieuse sur les enjeux de la traduction, sur fond de querelle sur la question de la fidélité.

• Pour ne pas faire doublon avec le cours, nous allons étudier quelques textes en particulier. Présentation + distribution des textes
o Malherbe : « Avertissement » à sa traduction du XXXIIIe Livre de Tite-Live, 1616
o De Méziriac : De la traduction, discours prononcé à l’Académie française en 1635
o Beauzée : article « Traduction » de l’Encyclopédie, 1765.
o Marmontel : article « Traduction » des Suppléments de l’Encyclopédie, 1777.

• Annonce des sources :
o BALLARD Michel. De Cicéron à Benjamin : Traducteurs, traductions, réflexions. Lille : Presses Universitaires de Lille, 1992. (Etudes de la traduction)
-> Malherbe et Meziriac
o Préface de Michel Ballard in BACHET DE MEZIRIAC Claude-Gaspar. De la traduction [1635]. Arras : Artois Presse Université, 1998. (Traductologie) ; Arras : Presses de l’Université d’Ottawa, 1998. (Regards sur la traduction).
-> Meziriac
o LAMBERT José. « Le discours implicite sur la traduction dans l’Encyclopédie » in BALLARD Michel, D’HULST Lieven, éd. La Traduction en France à l’âge classique. Villeneuve d’Asq : Presses Universitaires du Septentrion, 1996. (Travaux et Recherches).
-> Beauzée et Marmontel


François de Malherbe


• Présentation de l’auteur : poète qui a énormément contribué à l’épuration de la langue des formes inculquées à la Renaissance.. On peut le considérer comme le premier théoricien de l’art classique.
« Ce qu’il prône est une langue de cour moyenne, débarrassée des archaïsmes, des néologismes, des emprunts ».
« Malherbe s’attaqua au sens des mots, exigeant plus de précision et de rigueur dans leur définition et leur usage. »
« Malherbe canalise et exprime un désir de simplification des formes poétiques et de la prose. Il travaille dans le sens de l’élaboration d’une langue simple, claire, débarrassée d’archaïsmes et d’emprunts, dans laquelle seront coulées les traductions de l’époque. » Michel Ballard

• Dans De Cicéron à Benjamin, M. Ballard relève 2 textes de Malherbe où celui-ci parle de traduction :
o Le Commentaire sur Desportes, écrit théorique de caractère général, sur la traduction-adaptation de Desportes dans son David français : Malherbe relève les erreurs de langues françaises, le maniérisme des « latineurs ».
o L’Avertissement qui accompagne sa traduction du XXXIIIe Livre de Tite-Live, où il expose ses principes de traduction :

• Etude de l’« Avertissement » : le texte étudié comprend le 1e et le dernier paragraphe. Entre les 2, Malherbe traite de problèmes précis de traduction du texte sur certains passages, en regardant comment d’autres traducteurs les ont traduits et en justifiant son choix.

• Il s’interroge notamment sur le droit à rectifier le texte lorsque l’original latin semble corrompu ou qu’il s’éloigne de la réalité ou de la vérité historique.
"Il y a quelques lieux en cette version où j’ai suppléé des choses qui défaillaient au texte latin, et d’autres où j’ai changé des paroles dont la corruption était manifeste."
Malherbe
Cette question est d’autant plus importante qu’il ne connaît qu’un seul manuscrit du texte qu’il traduit, et ne peut donc pas comparer :
"Si le lecteur est juste, il considérera que c’est ici la version d’un livre, dont il n’y a exemplaire au monde que celui que nous a donné un manuscrit nouvellement trouvé à Bamberg, et que par conséquent les défauts dont il est plein ne se peuvent réparer qu’en devinant." Malherbe

• Fin du texte : Malherbe fait le bilan des libertés qu’il s’est permis
o Il a parfois procédé à des ajouts « pour éclaircir des obscurités, qui eussent donné de la peine à des gens qui n’en veulent point »
o Il a parfois « retranché quelque chose » « pour ne pas tomber en des répétitions, ou autres impertinences, dont sans doute un esprit délicat se fut offensé »
o Sa politique générale en matière de réécriture est régie par le désir de plaire :
"Pour ce qui est de l’histoire, je l’ai suivie exactement et ponctuellement ; mais je n’ai pas voulu faire les grotesques, qu’il est impossible d’éviter quand on se restreint dans la servitude de traduire de mot à mot. Je sais bien le goût du collège, mais je m’arrête à celui du Louvres." Malherbe

• Malherbe s’inscrit dans une tradition de la traduction-adaptation qui n’est pas nouvelle, et était déjà en vigueur à la Renaissance. A sa suite, des traducteurs utiliseront ses préceptes, et on pourra se réclamer de Malherbe comme de Cicéron pour justifier une traduction peu fidèle à la lettre.


Meziriac


• Gaspart Bachet de Méziriac est un mathématicien, notamment connu pour un recueil de récréation mathématiques : Problèmes plaisans et délectables qui se font par les nombres. Mais il a également traduit des poètes latins et des mathématiciens grecs.

• Il est l’un des premiers admis à l’Académie française. Lors de la séance du 10 décembre 1635, Vaugelas lut en son absence son discours intitulé « De la Traduction » (aboutissement d’une étude commencée en 1626)

• Dans son discours il s’en prend à Amyot, grand traducteur du XVIe siècle, qui traduisit des œuvres de Plutarque, et notamment la Vie des hommes illustres de 1542 à 1559. Il se conforme à l’usage en règle à l’époque, qui veut qu’on embellisse le texte original.

• Bachet de Meziriac s’attaque à un mythe au nom d’une certaine conception de la qualité en matière de traduction qui fait intervenir le rapport au texte-source. Il ne s’agit pas d’un simple réquisitoire, mais de ce qui constitue sans doute la première analyse d’erreur, solidement structurée, en la matière.
"Il procédait […] à l’examen systématique des fautes du Plutarque d’Amyot. Le premier, il utilisait un procédé de classement logique pour dépister les infidélités d’un traducteur. Il analysait, les uns après les autres, les exemples convaincants d’additions, de suppressions, et de modifications abusives." Roger Zuber

• Meziriac se propose, en relevant ces fautes, de définir ce qu’est un « bon traducteur ».
"La démarche de Bachet de Meziriac […] est fondée sur l’observation de la pratique : elle part de traductions publiées pour en dégager une systématique de l’erreur permettant de poser des principes de comportement qui pourront être utiles au professionnel tout autant qu’au didacticien." M. Ballard
"[Il s’agit de] déduire les devoirs d’un bon traducteur. Car outre que le plus souvent les exemples instruisent mieux que les préceptes, j’estime encore que faisant remarquer les défauts qui se rencontrent en la traduction qui est réputée la meilleure de toutes, j’enseignerai le vrai moyen d’arriver à la perfection qui n’est autre que s’empêcher de commettre de semblables fautes." Meziriac
Comme on a pu le voir en cours, l’enjeu est d’importance puisque son époque est celle de l’ampleur des « belles infidèles » (Perrot d’Ablancourt).
"Le scandale de ce discours consiste à mettre en question via le mythe d’Amyot un mode de traduction hérité de certains courants de la Renaissance et qui, en cette première moitié du XVIIe siècle, est en train de reprendre vigueur et de se transformer. " M.Ballard

• Les qualités qu’il énonce s’oppose à la pratique de l’époque (comparaison avec Montaigne :
"Je suppose donc comme une maxime que nul homme de bon jugement ne peut révoquer en doute, que si quelqu’un aspire à la louange que mérite une fidèle traduction, il faut qu’il observe exactement ces trois points ; qu’il n’ajoute rien à ce que dit son Auteur, qu’il n’en retranche rien, et qu’il n’y rapporte aucun changement qui puisse altérer le sens." Meziriac
"Si en quelques autres lieux j’ai ajouté ou retranché quelque chose, comme certes il y en a cinq ou six, j’ai fait le premier pour éclaircir des obscurités, qui eussent donné de la peine à des gens qui n’en veulent point ; et le second, pour ne tomber en des répétitions, ou autres impertinences, dont sans doute un esprit délicat se fût offensé. Pour ce qui est de l’histoire, je l’ai suivie exactement et ponctuellement ; mais je n’ai pas voulu faire les grotesques, qu’il est impossible d’éviter quand on se restreint dans la servitude de traduire de mot à mot. " Avertissement de Malherbe

• S’ensuit un relevé méthodique des fautes d’Amyot, reprenant les critères donnés ci-dessus.
Plan des erreurs d’Amyot (démarche et terminologie de Ballard)
1. Les étoffements indus
1.1. Selon leur nature
1.1.1. Les « additions superflues »
1.1.2. Les « impertinences »
1.2. Selon leur dimension et leur nature
1.2.1. Les mots
a) Les redondances (ex : paires de synonymes coordonnés)
b) Les insertions sémantiques erronées (ex : ajout d’informations fausses)
1.2.2. Propositions et phrases
a) Etoffements utiles (mais serait mieux en marge pour les distinguer)
b) Etoffements erronés et superflus (évidents ou porteurs de fausses informations)
2. Les omissions (le terme spécifique doit être préféré au générique)
3. Le sens et l’interprétation des formes
3.1. Erreurs sur les mots
3.2. Erreurs sur la ponctuation
3.3. Changements de liaison indus

• Meziriac cherche ensuite les causes de ces fautes, pour conclure que « la seule ignorance a été l’origine de toutes ces erreurs »
"Amiot avait une médiocre connaissance de la langue Grecque, et quelque légère teinture de bonnes lettres. Mais comme la plupart des fautes que j’ai déjà remarquées en sa traduction me servent déjà de preuve qu’il n’entendait pas le Grec à la perfection. Ainsi je veux faire voir maintenant qu’il n’était guères plus savant aux lettres humaines qu’un bon Ecolier de Rhétorique, pour n’avoir jamais lu qu’avec beaucoup de négligence les Anciens Poètes, Historiens, Orateurs, et Grammairiens ; et que tant s’en faut qu’il eût pénétré à fond les plus hautes, et plus solides sciences, que même il n’en savait pas bien les principes." Meziriac
Chaque reproche est ensuite abondamment illustré de relevés d’erreurs.

• Il conclue en comparant la traduction à une tâche titanesque, quasiment impossible (écuries d’Augie). On pourrait même se demander s’il croit en la possibilité d’une bonne traduction : mais est traducteur lui-même, et se propose pour cette tâche.


Dernière édition par le Ven 2 Nov - 1:01, édité 1 fois
Caroline R.
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Message  Caroline R. Ven 2 Nov - 0:59


Beauzée


• Saut dans le temps (pré-« belles infidèles  post-« b.i. ») : explication choix de ces deux articles : emblématique + intéressant vu qu’un second article vient remplacer le premier dans les suppléments  évolution de la réflexion ? Intéressant de comparer les deux, qui se placent dans la même optique.

• Beauzée (qui signe l’article des initiales BERM) est un grammairien (on lui doit la dichotomie nasalité/oralité) qui fut admis à l’Académie fr. en 1772. Après Dumarsais, il a écrit les articles consacrés à la grammaire dans L'Encyclopédie. Contributeur relativement marginal. A l’époque, il n’avait pas encore publié beaucoup.

• Le discours sur la traduction dans l’Encyclopédie déborde évidemment l’article « traduction » (poésie, tragédie, langue), mais il fallait faire un choix, et je trouvais intéressant de voir comment la traduction était définie.

• Définie justement la traduction en regard de la version, comme « synonymes » :
"TRADUCTION, s. f. VERSION, s. f. (Synonymes.) On entend également par ces deux mots la copie qui se fait dans une langue d'un discours premièrement énoncé dans une autre, comme d'hébreu en grec, de grec en latin, de latin en français, etc." Beauzée
Noter au passage que les langues-exemples sont toutes des langues anciennes. Cette définition posée, il s’empresse de séparer les mots :
"Mais l'usage ordinaire nous indique que ces deux mots différent entre eux par quelques idées accessoires, puisque l'on emploie l'un en bien des cas ou l'on ne pourrait pas se servir de l'autre: on dit, en parlant des saintes écritures, la Version des septante, la Version vulgate; et l'on ne dirait pas de même, la Traduction des septante, la Traduction vulgate: on dit au contraire que Vaugelas a fait une excellente traduction de Quint - Curce, et l'on ne pourrait pas dire qu'il en a fait une excellente version.
Il me semble que la version est plus littérale, plus attachée aux procédés propres de la langue originale, et plus asservie dans ses moyens aux vues de la construction analytique; et que la traduction est plus occupée du fond des pensées, plus attentive à les présenter sous la forme qui peut leur convenir dans la langue nouvelle, et plus assujettie dans ses expressions aux tours et aux idiotismes de cette langue. " Beauzée
On retrouve la question de la fidélité, mais sous la forme de deux mots différents : cette définition va, comme on l’imagine, servir la thèse d’une fidélité aux idées et non aux mots.
"L'art de la traduction suppose nécessairement celui de la version; et delà vient que les translations que l'on fait faire aux jeunes gens dans nos collèges du grec ou du latin en français, sont très - bien nommées des versions: les premiers essais de traduction ne peuvent et ne doivent être rien autre chose. […]
La traduction ajoute aux découvertes de la version littérale, le tour propre du génie de la langue dans laquelle elle prétend s'expliquer: elle n'emploie les secours analytiques que comme des moyens qui font entendre la pensée; mais elle doit la rendre cette pensée, comme on la rendrait dans le second idiome, si on l'avait conçue, sans la puiser dans une langue étrangère. Il n'en faut rien retrancher, il n'y faut rien ajouter, il n'y faut rien changer; ce ne serait plus ni version, ni traduction; ce serait un commentaire. " Beauzée
La traduction, définie comme « art », est donc supérieure, et plus complexe à la version, qui permet de l’approcher. (noter l’utilisation du terme « génie des langues ») En revanche, on n’est plus sous Montaigne : les ajouts et omissions sont blâmés comme n’appartenant pas à une traduction.
S’ensuit une critique de la traduction de Cicéron par La Bruyère, qualifiée, justement, de « commentaire ».

• Il cite ensuite Batteux et son Cours des belles-lettres. L’abbé Charles Batteux se propose de fonder une véritable « science du beau » sur l’établissement du principe d’imitation, copiant ainsi le modèle des sciences naturelles. Il est l’un des premiers à avoir défini les règles particulières de la traduction appliquées aux divers genres des belles-lettres avec un souci de système. En le citant, Beauzée se place sous une autorité contemporaine.
"Il faut, sinon autant de génie, du - moins autant de goût, pour bien traduire que pour composer. Peut - être même en faut-il davantage. L'auteur qui compose, conduit seulement par une sorte d'instinct toujours libre, et par sa matière qui lui présente des idées qu'il peut accepter ou rejeter à son gré, est maître absolu de ses pensées et de ses expressions: si la pensée ne lui convient pas, ou si l'expression ne convient pas à la pensée, il peut rejeter l'une et l'autre. Le traducteur n'est maître de rien; il est obligé suivre partout son auteur, et de se plier à toutes ses variations avec une souplesse infinie." Batteux cité par Beauzée
Beauzée surenchérit : "Rien de plus difficile en effet, et rien de plus rare qu'une excellente traduction, parce que rien n'est ni plus difficile ni plus rare, que de garder un juste milieu entre la licence du commentaire et la servitude de la lettre. Un attachement trop scrupuleux à la lettre, détruit l'esprit, et c'est l'esprit qui donne la vie: trop de liberté détruit les traits caractéristiques de l'original, on en fait une copie infidèle. "
On retrouve le goût (facile) d’une solution médiane, de compromis.

• De fait, l’article se termine par une pirouette : il suffirait pour résoudre ces difficultés de s’inspirer des traductions de Cicéron, rendues inaccessibles (solution « facile »).
"Qu'il est fâcheux que les révolutions des siècles nous aient dérobé les traductions que Cicéron avait faites de grec en latin, des fameuses harangues de Démosthène et d'Eschine: elles seraient apparemment pour nous des modèles sûrs; et il ne s'agirait que de les consulter avec intelligence, pour traduire ensuite avec succès." Beauzée

Au fond, Beauzée se réserve la clef du mystère : il dit, en parlant de Des orateurs parfaits de Cicéron :
"C'est l'abrégé le plus précis, mais le plus lumineux et le plus vrai, des règles qu'il convient de suivre dans la traduction; et il peut tenir lieu des principes les plus développés, pourvu qu'on sache en saisir l'esprit." Beauzée
(Sous-entendu : comme moi) Mais il ne nous apprend pas à le « saisir »…
"L’art de la traduction n’est décidemment pas donné à tout le monde, il mène vers un univers de privilégiés. Quelques autorités particulières semblent tenir l’intellectuel avide de traduire à une énorme distance des secrets de la bonne traduction : Cicéron en premier lieu, ensuite notre rédacteur en personne et ceux qui sont appelés à le soutenir, tel Batteux, ou les principes fondamentaux dont il se réclame : le génie et l’art, qui semblent coïncider en quelque sorte, malgré le recours à la rhétorique." José Lambert
L’exposé finit très loin de son point de départ. Les questions initiales « qu’est-ce qu’une bonne traduction ? En quoi serait-elle différente de la version, du commentaire, etc. ? » ont été progressivement remplacées par d’autres, comme la question normative « Qu’est-ce qu’une bonne traduction ? Quels sont les talents nécessaires pour en produire ? » L’exposé se termine par une pirouette : les modèles dont Beauzée se réclame ne sont plus accessibles, et il ne nous livre pas tout son savoir.
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Message  Caroline R. Ven 2 Nov - 1:00


Marmontel

• Dans les Suppléments, il y a à nouveau un article « Traduction », et il connaît une variante importante. Il est dû à un des grands noms des Suppléments et de l’époque : Marmontel (écrit des articles dans les domaines du discours, du style, de la langue, des lettres, des genres). Il ne fait pas allusion à l’article précédent, mais un effort de démarcation est manifeste (notamment longueur) : il s’agit d’une sorte de « rectification ».

• Sa définition ne reprend plus du tout l’opposition version/traduction de Beauzée, et est rangée dans la catégorie « Belles lettres » (alors que chez Beauzée, la grammaire était omniprésente, même si elle n’excluait pas les poètes), ce qui fait tourner l’article autour du concept de « traduction littéraire, poétique »  la première question est cette fois-ci « Comment bien traduire ? » Marmontel donne les différentes opinions :
"Les uns pensent que c’est une folie que de vouloir assimiler deux langues dont le génie est différent ; que le devoir du traducteur est de se mettre à la place de son auteur autant qu’il est possible, de se remplir de son esprit, et de le faire s’exprimer dans la langue adoptive, comme il se fût exprimé lui-même s’il eût écrit dans cette langue. Les autres pensent que ce n’est pas assez, ils veulent retrouver dans la traduction, non seulement le caractère de l’écrivain original, mais le génie de sa langue, et, s’il est permis de le dire, l’air du climat et le goût du terroir." Marmontel
La première est celle des gens du monde (« b.i. »), la deuxième celle des érudits. On retrouve une fois encore cette catégorisation. Et une fois encore, l’auteur plaide le juste milieu :
"Chacun a raison dans son sens. Il s’agit pour le traducteur de se consulter, et de voir auquel des deux goûts il veut plaire : s’il s’éloigne trop de l’original, il ne traduit plus, il imite ; s’il le copie trop servilement, il fait une version et n’est que translateur. N’y aurait-il pas un milieu à prendre ?" Marmontel

• Marmontel commence par donner raison aux premiers :
"Le premier et le plus indispensable des devoirs du traducteur est de rendre la pensée ; et les ouvrages qui ne sont que pensés sont aisés à traduire dans toutes les langues. La clarté, la justesse, la précision, la correction, la décence font alors tout le mérite de la traduction, comme du style original ; et si quelques-unes de ces qualités manquent à celui-ci, ou fait gré au copiste d’y avoir supplée ; si au contraire il est moins clair ou moins précis, on l’en accuse, lui ou sa langue." Marmontel
Il fait ensuite un petit aparté sur la notion de décence, qui justifie certaines modifications (courant à l’époque) :
"Pour la décence, elle est indispensable dans quelque langue qu’on écrive : rien de plus choquant, par exemple, que de voir le plus grave et le plus noble des historiens traduit en langue des halles." Marmontel

• Mais si la réponse est simple pour « les ouvrages qui ne sont que pensées », la chose se complique lorsqu’il s’agit de traduire des ouvrages « de style » :
"Mais si un ouvrage profondément pensé est écrit avec énergie, la difficulté de le bien rendre commence à se faire sentir : on chercherait inutilement dans la prose si travaillée d’Ablancourt, la force et la vigueur du style de Tacite.
La traduction devient plus épineuse à mesure que dans un ouvrage, le caractère et la pensée tiennent plus à l’expression. Pour lui, l’une des raisons de cette difficulté est due à l’infériorité du français par rapport au latin
Quoique la précision donne toujours, sinon plus de force, au moins plus de vivacité à la pensée, on ne l’exige de la langue du traducteur qu’autant qu’elle en est susceptible ; et quoique le François ne puisse atteindre à la précision du latin de Saluste, il n’est pas impossible de le traduire avec succès. Mais l’énergie est un caractère de l’expression si adhérent à la pensée, que ce sera un prodige dans notre langue, diffuse et faible comme elle est, en comparaison du latin, si Tacite est jamais traduit." Marmontel

• Marmontel aborde ici la question du génie des langues (on passe rapidement : exposé).
"L’abondance et la richesse ne sont pas les mêmes dans toutes les langues." Marmontel
Il est intéressant de voir que pour lui, les ressources des différentes langues seraient déterminées notamment par les performances des poètes célèbres.
"La nôtre [de langue], dans l’expression du sentiment et de la passion, est l’une des plus riches de l’Europe ; au contraire dans les détails physiques, soit de la nature ou des arts, elle est pauvre et manque souvent, non pas de mots, mais de mots ennoblis. Cela vient de ce que nos poètes célèbres se sont plus exercés dans la poésie dramatique que dans la poésie descriptive. Aussi les combats d’Homère sont-ils plus difficiles à traduire dans notre langue que les belles scènes de Sophocle et d’Euripide ; les métamorphoses d’Ovide plus difficiles que les élégies ; les géorgiques de Virgile plus difficile que l’Enéide ; et dans celle-ci les jeux célébrés aux funérailles d’Anchyle plus difficiles à bien rendre que les amours de Didon." Marmontel
Il établit une distinction capitale entre deux groupes de langues : celles dans lesquelles l’ordre des mots suit « l’ordre naturel des idées » – comme le français – et celles où l’inversion est libre, comme le latin.
"Quelle comparaison entre la ligne droite de la phrase française, et l’espèce de labyrinthe de la période des anciens !" Marmontel
Cette différence avantagerait la langue française lorsqu’il s’agit de rendre des « ouvrages où la clarté fait le mérite essentiel », mais serait un désavantage lorsqu’il s’agirait « d’agacer la curiosité du lecteur, d’exciter son impatience, de lui ménager la surprise, l’étonnement et le plaisir que doit lui causer la pensée ».
"Il n’y a pour les modernes, il le faut avouer, aucune espérance d’approcher jamais des anciens dans cette partie de l’expression soit poétique soit oratoire. La prose de Tourreil, de d’Olivet, celle de Bossuet lui-même, s’il avait traduit ses rivaux, n’aurait pas plus d’analogie avec celle de Démosthène et de Cicéron que les vers de Corneille et de Racine, avec les vers de Virgile et d’Homère." Marmontel

• Une nouvelle question se pose alors : Comment traduire dans ces conditions ? « Quelle est donc alors la ressource du traducteur ? » Pour Marmontel, il faut qu’il s’efforce de se rapprocher autant que possible du style de ses modèles afin de favoriser l’illusion que son texte consitute une authentique œuvre autonome (conception classique : si l’auteur avait écrit en notre langue, il aurait écrit comme cela ; si l’on retraduisait l’œuvre on reviendrait à l’original…)
"De supporter, comme on l’a dit, que ces poètes, ces orateurs eussent écrit en français, qu’ils eussent dit les mêmes choses ; et soit en prose, soit en vers, de tâcher d’atteindre dans notre langue au degré d’harmonie, qu’avec une oreille excellente, et beaucoup de peine et de soin, ils auraient donné à leur style." Marmontel

• Dans cette question, il évoque le problème particulier (mais contemporain) de la traduction des poètes en vers ou en prose poétique. Il commence d’abord par reconnaître la supériorité du vers sur la prose pour la traduction de la poésie.
"Entre la prose poétique et les vers nulle différence que celle du mètre. La hardiesse des tours et des figures, la chaleur, la rapidité des mouvements tout leur est commun. C’est donc à l’harmonie que la question se réduit. Or quel est dans notre langue l’équivalent des vers anciens le plus consolant pour l’oreille ? N’est-ce pas le vers tel qu’il est ? Oui sans doute ; et quoique la prose ait son harmonie, elle nous dédommage moins. Il y a donc, tout le reste égal, de l’avantage à traduire en vers des vers d’une mesure et d’un rythme différent du nôtre." Marmontel
Mais il reconnaît immédiatement après l’extrême difficulté de l’entreprise, et donc que cette position ne tient pas:
"Dans tous les temps il y aura plus de bons poètes que de bons traducteurs en vers." Marmontel
Il défend alors la prose poétique
"Je ne veux pas disputer à nos vers les charmes qu’ils ont pour l’oreille ; mais sans ce nombre de syllabes périodiquement égal, ces repos et ces consonances, l’expression noble, vive et juste de la pensée et du sentiment ne peut-elle plus nous frapper d’admiration et de plaisir ?" Marmontel

• Le rôle du traducteur est revalorisé.
"Tout homme qui croit savoir deux langues, se croit en état de traduire ; mais savoir deux langues assez bien pour traduire de l’une à l’autre, ce serait être en état d’en saisir tous les rapports, d’en sentir toutes les finesses, d’en apprécier tous les équivalents ; et cela même ne suffit pas : il faut avoir acquis par l’habitude, la facilité de plier à son gré celle dans laquelle on écrit ; il faut avoir le don de l’enrichir soi-même, en créant, au besoin, des tours et des expressions nouvelles ; il faut avoir surtout une sagacité, une force, une chaleur de conception presque égale à celle du génie dont on se pénètre, pour ne faire qu’un avec lui, en sorte que le don de la création soit le seul avantage qui le distingue ; et dans la foule innombrable des traducteurs, il y en a bien peu, il faut l’avouer, qui fussent dignes d’entrer en société de pensée et de sentiment avec un homme de génie." Marmontel

Conclusion

L’âge classique connaît l’émergence d’une réflexion autour de la traduction, notamment autour du débat sur la notion de fidélité : fidélité à la lettre ou à l’esprit ? Parmi d’autres, nous avons sélectionné 4 auteurs qui prennent place dans ce débat et dans cette naissance d’une discipline.
- Malherbe ouvre le XVIIe siècle en épurant la langue du XVIe, et en justifiant les libertés qu’il s’autorise dans ses propres traductions.
- De Meziriac s’oppose vingt ans après à ce genre de pratique, à travers la figure emblématique d’Amyot, mais visant à travers lui les traducteurs (et notamment Perrot d’Ablancourt) qui oeuvrent alors à l’apogée des « belles infidèles ». Il est le premier à avoir une critique systématique solidement structurée en la matière.
- Au XVIIIe, Beauzée élève la traduction au rang d’art, et prône un juste milieu entre « version » et « commentaire », mais fait bien sentir à son lecteur que ce savoir n’est pas à la portée de n’importe qui.
- Marmontel, tout en valorisant lui aussi la posture du traducteur, se pose lui la question des moyens de bien traduire, notamment en ce qui concerne la poésie, et s’interroge sur ce qui fait le génie de chaque langue, et la hiérarchie qui les combine.

Il y a une certaine évolution du regard posé sur la traduction au cours de ces deux siècles. Si les « belles infidèles » restent dominantes, les théoriciens de la traduction sont de plus en plus nombreux à se réclamer, au XVIIIe, d’une troisième voie, d’un juste milieu. Le débat s’est en fait déplacé sur un débat entre grammairiens et rhétoriciens, sur la façon d’aborder la traduction, sur des questions comme la traduction de poésie, la vision de la traduction comme création ou reproduction. Le débat se généralise, et les traducteurs accompagnent de plus en plus leurs traductions de « réflexions », qui rendent compte non seulement des difficultés rencontrées, mais d’un effort de théorisation.
Il y a également, sur la fin, une timide ouverture de la réflexion aux autres langues européennes, et pas seulement anciennes (Marmontel & Pope). En revanche, la question de la décence reste relativement fermée et peu débattue.
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Message  Caroline R. Ven 2 Nov - 1:04

Bon, ouf, voilà pour l'exposé Je vous mets également les textes, pour ceux qui n'ont pas eu l'un des (trop) rares exemplaires qui circulaient (désolée, d'ailleurs Neutral )

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Texte 1
Il y a quelques lieux en cette version où j’ai suppléé des choses qui défaillaient au texte latin, et d’autres où j’ai changé des paroles dont la corruption était manifeste. Si ceux qui examineront ces difficultés ne sont de mon avis, je serai bien aise qu’ils en donnent de meilleurs. Pour le moins aurai-je cette satisfaction, de leur avoir témoigné ma diligence. […]
Si en quelques autres lieux j’ai ajouté ou retranché quelque chose, comme certes il y en a cinq ou six, j’ai fait le premier pour éclaircir des obscurités, qui eussent donné de la peine à des gens qui n’en veulent point ; et le second, pour ne tomber en des répétitions, ou autres impertinences, dont sans doute un esprit délicat se fût offensé. Pour ce qui est de l’histoire, je l’ai suivie exactement et ponctuellement ; mais je n’ai pas voulu faire les grotesques, qu’il est impossible d’éviter quand on se restreint dans la servitude de traduire de mot à mot. Je sais bien le goût du collège, mais je m’arrête à celui du Louvre. Si le lecteur est juste, il considérera que c’est ici la version d’un livre, dont il n’y a exemplaire au monde que celui que nous a donné un manuscrit nouvellement trouvé à Bamberg, et que par conséquent les défauts dont il est plein ne se peuvent réparer qu’en devinant. S’il est injuste, je lui rendrai la pareille qui est due à ceux qui offensent les premiers. Le mépris qu’il aura fait de mon ouvrage, je le ferai de son jugement.
François de Malherbe. « Avertissement », dans sa traduction du XXXIIIe Livre de Tite-Live, 1616

Texte 2

[…] Je veux vous proposer un abrégé de toutes ces fautes [à Amyot] que j’ai réduites à certains chefs, tant pour éviter la confusion mère de l’obscurité, que pour comprendre plusieurs choses en peu de paroles. Aussi je proteste que je ne ferai que toucher ici l’origine de ces manquements, sans rapporter les preuves entières de mes corrections qui sont réservées pour une œuvre de plus longue haleine, je ne m’écarterai point pourtant du but que je me suis proposé en ce discours, où je prétends de déduire les devoirs d’un bon traducteur. Car outre que le plus souvent les exemples instruisent mieux que les préceptes, j’estime encore que faisant remarquer les défauts qui se rencontrent en la traduction qui est réputée la meilleure de toutes, j’enseignerai le vrai moyen d’arriver à la perfection qui n’est autre que s’empêcher de commettre de semblables fautes.
Je suppose donc comme une maxime que nul homme de bon jugement ne peut révoquer en doute, que si quelqu’un aspire à la louange que mérite une fidèle traduction, il faut qu’il observe exactement ces trois points ; qu’il n’ajoute rien à ce que dit son Auteur, qu’il n’en retranche rien, et qu’il n’y rapporte aucun changement qui puisse altérer le sens. Ceux qui faillent contre que qu’un de ces trois préceptes méritent d’être blâmez, quoique différemment. Car celui qui pêche par omission, témoigne de la négligence ou de l’inadvertance, plutôt que de la malice. Celui qui change, et met une chose pour une autre, fait voir son ignorance, et qu’il n’entend pas bien la matière dont son Auteur traite, ou la langue en laquelle il écrit. Mais celui qui ajoute quelque chose mal à propos, se montre plein d’arrogance et de témérité. […]
Il me semble donc que j’ai fais voir fort clairement qu’en toutes les manières, qu’on peut imaginer, Amiot a péché contre les règles qu’un fidèle traducteur doit observer ponctuellement, si bien que pour m’acquitter entièrement de ma promesse je n’ai pus rien à faire, sinon de rechercher la cause, et découvrir la source de tant de manquement. Mais il ne faut pas employer une trop profonde spéculation pour la trouver. Car je m’assure que tout homme de bon esprit tombera d’accord avec moi, que la seule ignorance a été l’origine de toutes ces erreurs. Je ne veux pas dire qu’Amiot fût tout-à-fait ignorant, mais je soutiens qu’il n’avait pas un fond de doctrine suffisant pour sortir heureusement d’une si difficile, et si laborieuse traduction. Car les écrits de Plutarque sont remplis de tant d’érudition, que pour les bien traduire, il faut être à peu près aussi savant que lui, et n’ignorer aucune science. Or j’avoue qu’Amiot avait une médiocre connaissance de la langue Grecque, et quelque légère teinture de bonnes lettres. Mais comme la plupart des fautes que j’ai déjà remarquées en sa traduction me servent déjà de preuve qu’il n’entendait pas le Grec à la perfection. Ainsi je veux faire voir maintenant qu’il n’était guères plus savant aux lettres humaines qu’un bon Ecolier de Rhétorique, pour n’avoir jamais lu qu’avec beaucoup de négligence les Anciens Poètes, Historiens, Orateurs, et Grammairiens ; et que tant s’en faut qu’il eût pénétré à fond les plus hautes, et plus solides sciences, que même il n’en savait pas bien les principes. […]
Je ne m’amuserai pas d’avantage à censurer Amiot, parce qu’il me semble que j’ai fait voir suffisamment son insuffisance, et qu’il n’avait pas fait les provisions nécessaires pour s’embarquer sur un si vaste océan sans s’exposer au danger de faire naufrage. Aussi j’estime que ceux qui prendront la peine de considérer attentivement tout ce que j’ai dit, en tireront facilement cette conséquence, qu’il ne peut être qu’il n’ait fait une infinité de fautes en sa traduction, et que les corriger toutes pour effacer tant de tâches dont il a défiguré le Plutarque, n’est pas un moindre travail que celui qu’Hercule soutînt, quand il nettoya les étables d’Augie.
Claude-Gaspard Bachet de Meziriac, De la Traduction. 1635.
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Message  Caroline R. Ven 2 Nov - 1:04

Texte 3
TRADUCTION, s. f. VERSION, s. f. (Synonymes.) On entend également par ces deux mots la copie qui se fait dans une langue d'un discours premièrement énoncé dans une autre, comme d'hébreu en grec, de grec en latin, de latin en français, etc. Mais l'usage ordinaire nous indique que ces deux mots différent entre eux par quelques idées accessoires, puisque l'on emploie l'un en bien des cas ou l'on ne pourrait pas se servir de l'autre: on dit, en parlant des saintes écritures, la Version des septante, la Version vulgate; et l'on ne dirait pas de même, la Traduction des septante, la Traduction vulgate: on dit au contraire que Vaugelas a fait une excellente traduction de Quint - Curce, et l'on ne pourrait pas dire qu'il en a fait une excellente version.
Il me semble que la version est plus littérale, plus attachée aux procédés propres de la langue originale, et plus asservie dans ses moyens aux vues de la construction analytique; et que la traduction est plus occupée du fond des pensées, plus attentive à les présenter sous la forme qui peut leur convenir dans la langue nouvelle, et plus assujettie dans ses expressions aux tours et aux idiotismes de cette langue.
Delà vient que nous disons la version vulgate, et non la traduction vulgate; parce que l'auteur a tâché, par respect pour le texte sacré, de le suivre littéralement, et de mettre, en quelque sorte, l'hébreu même à la portée du vulgaire, sous les simples apparences du latin dont il emprunte les mots. […]
L'art de la traduction suppose nécessairement celui de la version; et delà vient que les translations que l'on fait faire aux jeunes gens dans nos collèges du grec ou du latin en français, sont très - bien nommées des versions: les premiers essais de traduction ne peuvent et ne doivent être rien autre chose.
La version littérale trouve ses lumières dans la marche invariable de la construction analytique, qui lui sert à lui faire remarquer les idiotismes de la langue originale, et à lui en donner l'intelligence, en remplissant les vides de l'ellipse, en supprimant les redondances du pléonasme, en ramenant à la rectitude de l'ordre naturel les écarts de la construction usuelle. Voyez Inversion, Méthode, Supplément, etc.
La traduction ajoute aux découvertes de la version littérale, le tour propre du génie de la langue dans laquelle elle prétend s'expliquer: elle n'emploie les secours analytiques que comme des moyens qui font entendre la pensée; mais elle doit la rendre cette pensée, comme on la rendrait dans le second idiome, si on l'avait conçue, sans la puiser dans une langue étrangère. Il n'en faut rien retrancher, il n'y faut rien ajouter, il n'y faut rien changer; ce ne serait plus ni version, ni traduction; ce serait un commentaire.
Ne pouvant pas mettre ici un traité développé des principes de la traduction, qu'il me soit permis d'en donner seulement une idée générale, et de commencer par un exemple de traduction, qui, quoique sorti de la main d'un grand maître, me paraît encore répréhensible. [...]
« Quand il s'agit, dit M. Batteux, (Cours de belles - lettres, III. part. jv. sect.) de représenter dans une autre langue les choses, les pensées, les expressions, les tours, les tons d'un ouvrage; les choses telles qu'elles sont, sans rien ajouter, ni retrancher, ni déplacer; les pensées dans leurs couleurs, leurs degrés, leurs nuances; les tours qui donnent le feu, l'esprit, la vie au discours; les expressions naturelles, figurées, fortes, riches, gracieuses, délicates, etc. et le tout d'après un modèle qui commande durement, et qui veut qu'on lui obéisse d'un air aisé: il faut, sinon autant de génie, du - moins autant de goût, pour bien traduire que pour composer. Peut - être même en faut- il davantage. L'auteur qui compose, conduit seulement par une sorte d'instinct toujours libre, et par sa matière qui lui présente des idées qu'il peut accepter ou rejeter à son gré, est maître absolu de ses pensées et de ses expressions: si la pensée ne lui convient pas, ou si l'expression ne convient pas à la pensée, il peut rejeter l'une et l'autre: quoe desperat tractata nitescere posse, relinquit. Le traducteur n'est maître de rien; il est obligé suivre par - tout son auteur, et de se plier à toutes ses variations avec une souplesse infinie. Qu'on en juge par la variété des tons qui se trouvent nécessairement dans un même sujet, et à plus forte raison dans un même genre .... Pour rendre tous ces degrés, il faut d'abord les avoir bien sentis, ensuite maîtriser à un point peu commun la langue que l'on veut enrichir de dépouilles étrangères. Quelle idée donc ne doit-on pas avoir d'une traduction faite avec succès?»
Rien de plus difficile en effet, et rien de plus rare qu'une excellente traduction, parce que rien n'est ni plus difficile ni plus rare, que de garder un juste milieu entre la licence du commentaire et la servitude de la lettre. Un attachement trop scrupuleux à la lettre, détruit l'esprit, et c'est l'esprit qui donne la vie: trop de liberté détruit les traits caractéristiques de l'original, on en fait une copie infidèle.
Qu'il est fâcheux que les révolutions des siècles nous aient dérobé les traductions que Cicéron avait faites de grec en latin, des fameuses harangues de Démosthène et d'Eschine: elles seraient apparemment pour nous des modèles sûrs; et il ne s'agirait que de les consulter avec intelligence, pour traduire ensuite avec succès. Jugeons-en par la méthode qu'il s'était prescrite dans ce genre d'ouvrage, et dont il rend compte lui - même dans son traité de optimo genere oratorum. C'est l'abrégé le plus précis, mais le plus lumineux et le plus vrai, des règles qu'il convient de suivre dans la traduction; et il peut tenir lieu des principes les plus développés, pourvu qu'on sache en saisir l'esprit. […] (B. E. R. M.)
Nicolas Beauzée, « Traduction » in Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1765.

Texte 4
TRADUCTION, f.f. (Belles-Lettres.) Les opinions ne s’accordent pas sur l’espèce de tâche que s’impose le traducteur, ni sur l’espèce de mérite que doit avoir la traduction. Les uns pensent que c’est une folie que de vouloir assimiler deux langues dont le génie est différent ; que le devoir du traducteur est de se mettre à la place de son auteur autant qu’il est possible, de se remplir de son esprit, et de le faire s’exprimer dans la langue adoptive, comme il se fût exprimé lui-même s’il eût écrit dans cette langue. Les autres pensent que ce n’est pas assez, ils veulent retrouver dans la traduction, non seulement le caractère de l’écrivain original, mais le génie de sa langue, et, s’il est permis de le dire, l’air du climat et le goût du terroir. […]
Chacun a raison dans son sens. Il s’agit pour le traducteur de se consulter, et de voir auquel des deux goûts il veut plaire : s’il s’éloigne trop de l’original, il ne traduit plus, il imite ; s’il le copie trop servilement, il fait une version et n’est que translateur. N’y aurait-il pas un milieu à prendre ?
Le premier et le plus indispensable des devoirs du traducteur est de rendre la pensée ; et les ouvrages qui ne sont que pensés sont aisés à traduire dans toutes les langues. La clarté, la justesse, la précision, la correction, la décence font alors tout le mérite de la traduction, comme du style original ; et si quelques-unes de ces qualités manquent à celui-ci, ou fait gré au copiste d’y avoir supplée ; si au contraire il est moins clair ou moins précis, on l’en accuse, lui ou sa langue. Pour la décence, elle est indispensable dans quelque langue qu’on écrive : rien de plus choquant, par exemple, que de voir le plus grave et le plus noble des historiens traduit en langue des halles. Mais jusque-là il n’est pas difficile de réussir, surtout dans notre langue qui est naturellement claire et noble. Un homme médiocre a traduit l’Essai sur l’entendement humain, et l’a traduit assez bien pour nous, et au gré de Locke lui-même.
Mais si un ouvrage profondément pensé est écrit avec énergie, la difficulté de le bien rendre commence à se faire sentir : on chercherait inutilement dans la prose si travaillée d’Ablancourt, la force et la vigueur du style de Tacite.
Quoique la précision donne toujours, sinon plus de force, au moins plus de vivacité à la pensée, on ne l’exige de la langue du traducteur qu’autant qu’elle en est susceptible ; et quoique le François ne puisse atteindre à la précision du latin de Saluste, il n’est pas impossible de le traduire avec succès. Mais l’énergie est un caractère de l’expression si adhérent à la pensée, que ce sera un prodige dans notre langue, diffuse et faible comme elle est, en comparaison du latin, si Tacite est jamais traduit. […]
L’abondance et la richesse ne sont pas les mêmes dans toutes les langues. La nôtre, dans l’expression du sentiment et de la passion, est l’une des plus riches de l’Europe ; au contraire dans les détails physiques, soit de la nature ou des arts, elle est pauvre et manque souvent, non pas de mots, mais de mots ennoblis. Cela vient de ce que nos poètes célèbres se sont plus exercés dans la poésie dramatique que dans la poésie descriptive. Aussi les combats d’Homère sont-ils plus difficiles à traduire dans notre langue que les belles scènes de Sophocle et d’Euripide ; les métamorphoses d’Ovide plus difficiles que les élégies ; les géorgiques de Virgile plus difficile que l’Enéide ; et dans celle-ci les jeux célébrés aux funérailles d’Anchyle plus difficiles à bien rendre que les amours de Didon. […]
Quelle assimilation peut-il y avoir entre une langue dans laquelle, pour donner plus de grâce, plus de finesse ou plus de force au tour de l’expression, il est permis de transposer tous les mots d’une phrase, et de les placer à son gré ; et une langue où dans le même ordre que les idées se présentent naturellement à l’esprit, les mot doivent être rangés ? Les ouvrages où la clarté fait le mérite essentiel et presqu’unique de l’expression ne perdront rien, gagneront même à ce rétablissement de l’ordre naturel ; mais lorsqu’il s’agit d’agacer la curiosité du lecteur, d’exciter son impatience, de lui ménager la surprise, l’étonnement et le plaisir que doit lui causer la pensée, quelle comparaison entre la ligne droite de la phrase française, et l’espèce de labyrinthe de la période des anciens ! […]
Il n’y a pour les modernes, il le faut avouer, aucune espérance d’approcher jamais des anciens dans cette partie de l’expression soit poétique soit oratoire. La prose de Tourreil, de d’Olivet, celle de Bossuet lui-même, s’il avait traduit ses rivaux, n’aurait pas plus d’analogie avec celle de Démosthène et de Cicéron que les vers de Corneille et de Racine, avec les vers de Virgile et d’Homère.
Quelle est donc alors la ressource du traducteur ? De supporter, comme on l’a dit, que ces poètes, ces orateurs eussent écrit en français, qu’ils eussent dit les mêmes choses ; et soit en prose, soit en vers, de tâcher d’atteindre dans notre langue au degré d’harmonie, qu’avec une oreille excellente, et beaucoup de peine et de soin, ils auraient donné à leur style.
C’est ici le moment de voir s’il est essentiel aux poètes d’être traduits en vers, et la question, ce me semble, n’est pas difficile à résoudre.
Entre la prose poétique et les vers nulle différence que celle du mètre. La hardiesse des tours et des figures, la chaleur, la rapidité des mouvements tout leur est commun. C’est donc à l’harmonie que la question se réduit. Or quel est dans notre langue l’équivalent des vers anciens le plus consolant pour l’oreille ? N’est-ce pas le vers tel qu’il est ? Oui sans doute ; et quoique la prose ait son harmonie, elle nous dédommage moins. Il y a donc, tout le reste égal, de l’avantage à traduire en vers des vers d’une mesure et d’un rythme différent du nôtre. Mais cette différence de rythme, et l’extrême difficulté de suivre son modèle à pas inégaux et contraints, cette difficulté d’être en même temps fidèle à la pensée et à la mesure, rend le succès si pénible et si rare, qu’on pourrait assurer que dans tous les temps il y aura plus de bons poètes que de bons traducteurs en vers.
Cependant le moyen, dit-on, de supporter la traduction d’un poète en prose ? Mais de bonne foi serait-ce donc une chose si rebutante que de lire en prose harmonieuse un ouvrage plein de génie, d’imagination et d’intérêt, qui serait un tissu d’événements, de situations, de tableaux touchants ou terribles, où la nature serait peinte, et dans les hommes, et dans les choses, avec ses plus vives couleurs ? Je ne veux pas disputer à nos vers les charmes qu’ils ont pour l’oreille ; mais sans ce nombre de syllabes périodiquement égal, ces repos et ces consonances, l’expression noble, vive et juste de la pensée et du sentiment ne peut-elle plus nous frapper d’admiration et de plaisir ? […]
Tout homme qui croit savoir deux langues, se croit en état de traduire ; mais savoir deux langues assez bien pour traduire de l’une à l’autre, ce serait être en état d’en saisir tous les rapports, d’en sentir toutes les finesses, d’en apprécier tous les équivalents ; et cela même ne suffit pas : il faut avoir acquis par l’habitude, la facilité de plier à son gré celle dans laquelle on écrit ; il faut avoir le don de l’enrichir soi-même, en créant, au besoin, des tours et des expressions nouvelles ; il faut avoir surtout une sagacité, une force, une chaleur de conception presque égale à celle du génie dont on se pénètre, pour ne faire qu’un avec lui, en sorte que le don de la création soit le seul avantage qui le distingue ; et dans la foule innombrable des traducteurs, il y en a bien peu, il faut l’avouer, qui fussent dignes d’entrer en société de pensée et de sentiment avec un homme de génie. […] (M. MARMONTEL.)
Jean-Fronçois Marmontel, « Traduction » in Suppléments à l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, 1777.
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